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[INTERVIEW] Arthur Guerin-Boëri, le roi des glaces


canada2022

Il y a quatre ans, Arthur Guérin-Boëri s’était illustré en apnée sous la glace avec une monopalme au pied. Cette fois c’est sans palme que le King Arthur va retenir son souffle dans l’eau glacée.

Pour France Apnée le champion français nous explique ses différents projets, ses motivations, ses difficultés, sa préparation …

Ce n’est pas la première fois que tu tentes un record sous glace. Quel était ton précédent record ?

En 2017 dans les eaux glacées de Sonnanen en Finlande, j’avais nagé 175m sous la glace avec une monopalme et une combinaison. Ce fut un record du monde homologué par la CMAS.  Ce record fut battu par la suite par Alexey Molchanov qui a ajouté 5m.

Le prochain record sera une première car je tenterai la plus longue  distance sous la glace mais sans combinaison et sans palme. Ma performance est prévue pour mars 2022 au Canada. Mais dans l’intervalle, je tenterai quelque chose avec ma combinaison en dynamique sans palme (DNF) en Finlande en mars 2021 si tout se passe comme prévu (la crise sanitaire pourrait jouer les troubles fêtes).

Coté matos que comptes-tu utiliser ?

Je porte la combinaison Vortex d’Epsealon; un modèle en deux pièces de 2mm d’épaisseur.

j’utilise un maillot et un bonnet Nage Libre, une jeune marque hyper prometteuse, avec qui je développe actuellement un produit qui pourrait être très intéressant pour les apnéistes. Je mets aussi  un poncho DryRobe pour me garder au chaud avant les immersion, et me réchauffer ensuite.

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour à nouveau battre un record sous glace ?

Si j’ai passé autant de temps avant de reprendre un projet de record, c’est que la compétition en bassin m’a pas mal usé. C’est hyper exigeant et j’y mettais vraiment tout. J’ai eu besoin d’une pause et aussi de réorienter ma carrière. Je suis toujours à la recherche de la professionnalisation; c’est un parcours du combattant sans fin pour un apnéiste catalogué « piscine ».

Comment se passe ta préparation ? 

Dans ma prépa il y a une partie entraînement apnée, en piscine avec le CIPA à Nice (ndlr : le club d’apnée de Nice) et une partie acclimatation au froid. Les séances en piscine se font à raison de 3 entraînements par semaine. Les immersions en eaux glacée trois fois également par semaine. Lorsque je suis de passage à Paris j’ai aussi le soutien du club Apnée Passion à Montreuil.

Je complète par du footing, de la musculation avec poids de corps et de la rando. Voilà !

As-tu rencontré des difficultés pour t’entraîner compte tenu du contexte épidémique ou as-tu réussi malgré tout à maintenir ton programme d’entraînement ?

Difficile en effet. Les salles sont fermées et évidemment, rien n’est fait ni envisagé ni organisé pour les apnéistes. Nous ne sommes pas reconnus « sport de haut niveau » même si notre Directeur Technique National Richard Thomas se bat pour ça. La conséquence de cette non-reconnaissance c’est que les clubs associatifs n’ont pas de facilités pour obtenir des subventions, obtenir des créneaux dans des piscines, ou accès à des salles. La FFESSM (ndlr : la fédération de plongée) ne débloque pas de budgets pour prendre en charge les entraînements des athlètes élites licenciés : nous ne sommes pas sportifs de haut niveau. Allez dans n’importe quel club de natation de haut niveau par exemple; là je peux vous dire que tous les nageurs ont leur créneaux dispos 6 jours par semaine 2 fois par jour. C’est réglé comme du papier à musique. Avec accès aux salles de sport etc. La crise actuelle n’a que peu d’impact sur leur rythme d’entraînement. Tout est organisé et pris en charge par leur fédé et leur club. Nous n’avons pas encore ce confort dans l’apnée. Mais des gens de bonne volonté y travaillent. Avec l’aide du DTN, j’ai tout de même réussi à négocier des créneaux via le CIPA à la ville de Nice grâce à mon statut « pro ». Et je remercie d’ailleurs la municipalité et la FFESSM pour leur bienveillance et leur aide.

As-tu un coach pour superviser cette prépa ?

Bien sûr ! The one and only Guillaume Lescure. Tout simplement la meilleure méthode que j’ai pu tester jusqu’à présent. Côté acclimatation au froid, je suis à l’écoute de mon camarade photographe Alex Voyer qui me coache et me conseille. Son expérience de l’eau froide est énorme. C’est d’ailleurs lui qui m’a initié aux baignades en eau glacée à Paris.

[pour retrouver Alex c’est par ici : https://www.franceapnee.com/actualites/rencontre-alex-voyer-surdoue-de-limage-en-apnee/ ]

Qu’est-ce qui te motive dans ce projet de record sous glace ?

Ce qui me motive le plus ce sont le défi mental, le défi d’adaptation et le côté prise de risque.  Grâce à cette pratique je découvre les facultés d’adaptation de mon corps et les impacts bénéfiques de l’eau froide.

#canada 2022

Quelle fédération ou organisme validera ta performance ?

Je travaille actuellement pour l’intégration de l’apnée sous glace avec et sans combinaison comme discipline officielle à la CMAS. J’ai mis au point le règlement avec l’aide d’Antero Joki, Monsieur apnée sous glace. Et nous traitons directement avec la direction de la CMAS.

Si tu arrives à battre ce record, est-ce qu’on te verra un jour à nouveau  »performer » en piscine ?

Qui sait… Si je fais un retour en piscine, ça sera discrètement. C’est un sujet que nous évoquons avec mes camarades de bassin car le niveau est très élevé au CIPA actuellement. Dans ma ligne d’eau je nage avec Hinatea Penilla (qui n’est pas loin des records de France DYN et DNF) et Guillaume Nery. Donc autant dire qu’on passe plus de temps sous la surface qu’à respirer. Sont présents aussi David Garbarino, un compétiteur de niveau international et Thomas Bouchard, plusieurs fois sélectionné en Équipe de France. Ça tourne très bien. La dynamique est bonne. Et nous avons constitué un groupe solide et cohérent, avec une superbe ambiance. Nous progressons tous à vue d’œil et je pense que si on continue comme ça, nous verrons prochainement des podiums CIPA sur des compétitions indoors.

Samedi dernier (le 30 janvier 2020) un Russe, Igor Azhikin pour ne pas le nommer, a réalisé 100m sous la glace sans palme et sans combinaison. Il a reçu le soutien de la Fédération russe d’apnée et des représentants du Guinness Book étaient présents dans la perspective d’une validation en record du monde. As-tu vu sa performance ? Quelle est ta réaction ?

Énorme ! Franchement c’est une très grosse perf. Je crois que c’est un des élève d’Alexey (ndlr : Alexey Molchanov). Après, sur la perf en elle-même, elle constituera peut-être un record Guinness, mais pas un record universel, car le finlandais Kristian Maki-Jussila a nagé 101m DNF sans combi l’hiver dernier. Je crois que le record a été revu en record national Russe, mais je ne suis pas sur (à vérifier).

Avec un tel niveau de préparation et d’adaptation au froid, est-ce que tu envisages de plonger en Arctique ou en Antarctique pour aller au contact de grands animaux marins comme a pu le faire Morgan Bourc’His ou encore Guillaume Néry ?

Ce n’est pas encore prévu. J’avais monté un projet pendant de longs mois dans lequel je voulais emmener Mike Horn plonger avec des orques en Norvège, avec un partenaire que l’on avait en commun à l’époque, mais ça n’a finalement jamais abouti.

 

 

Crédit photo et vidéo : Gabriel Guérin et Antonin Delaroche Vernet

France Apnée – Janvier  2021