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INTERVIEW EXCLUSIVE : Chloé Villaume, ange gardien sur le Vertical Blue


Chloé sur la plage

FRANCE APNEE : Chloé, tu étais safety sur le VB 2012 et 2013. Ca devient une habitude! Qu’est-ce qui te plait dans cette compétitions?

Chloé VILLAUME : Vertical Blue c’est un mois au paradis, a se retrouver comme en famille! C’est une compétition particulière, ou tout le monde s’entraide, il n’y a pas de nationalité, de rivalité. C’est vraiment un événement ou les liens sont forts. Je ne sais pas vraiment ce qui crée cela, peut être le fait d’être venu de si loin, d’être sur un petite ile ou l’on se sent comme dans une bulle, ou le monde extérieur n’existe quasiment plus. C’est aussi une grande colonie de vacances, ou on passe notre temps a aller chasser, nager, plonger, faire du feu sur la plage, jouer de la guitare, faire griller le poisson qu’on a pris le jour même et le partager tous ensemble. C’est aussi une ile ou la communauté locale est très amicale. On participe aux activités des écoles et églises sur place. On se sent toujours les bienvenus, tout le monde se salue et se parle. C’est vraiment un endroit très chaleureux, qu’on quitte le cœur lourd!

FRANCE APNÉE : Depuis quand fais-tu de l’apnée et depuis quand endosses-tu ce rôle d’ange gardien des profondeurs?

CHLOÉ : J’ai commence l’apnée il y a 2 ans, pile, à Dahab, avec Johnny Sunnex. Puis j’ai voyagé et me suis entraînée avec Rémy Dubern, donc par la force des choses, j’ai endossé le rôle de safety, pour lui permettre de se consacrer a sa progression, et j’ai réalisé que j’adorais ca. C’est un rôle clé, qui permet d’être au centre de l’action, et de partager des moments intenses avec tout les athlètes. J’y trouve un réel bonheur!

FRANCE APNÉE : On t’a vu sur une compétition piscine cette année (à Cluses) en tant que juge AIDA. As-tu déjà occupé ce rôle sur une compétition internationale? Peux-tu nous parler de ton expérience dans cette fonction?

CHLOÉ : J’ai été formée aux championnats du monde AIDA a Nice en 2012, ou j’ai été « juge in learning ». C’est aussi une fonction intéressante, mais moins naturelle pour moi car il faut rester concentre sur la partie « juge », et réussir a être en retrait sur tout les autres aspects… pour moi qui ai toujours les yeux partout et chercher toujours a aider tout le monde, c’est moins facile. Au Nice Abyss ou j’étais juge aussi, je ne pouvais pas m’empêcher de jeter un oeil sur les lignes d’échauffement, sur les safety.

FRANCE APNÉE : Revenons à ton rôle de safety. Peux-tu nous expliquer ta place dans l’organisation d’un sauvetage? Plus largement comment s’organise une équipe de safety ?

CHLOÉ : L’organisation de l’équipe est différente selon les conditions, l’accès aux soins d’urgence et la composition de l’équipe. Aux Bahamas, on a la chance d’être une équipe nombreuse a travailler ensemble, ce qui permet de mettre en place des rotations et ainsi de rester en forme sur toute la compétition – 9 jours dans l’eau, c’est assez intense!

Nous étions donc 5 a travailler ensemble sur Vertical Blue.

Une personne supervise les lignes d’échauffement… c’est un peu le rôle du vilain petit canard, rôle que personne ne veut prendre. On s’y colle tous 1 ou 2 fois durant la compétition, mais c’est sur que tout les membres de l’équipe préfèrent être sur la ligne officielle!

Dans le périmètre officiel, on trouve 4 safety. Leur rôle tourne à chaque plongée (4 devient 3, 3 devient 2…etc)

  • Safety 1: plonge a 30 mètres (ou 25 pour les performances moins profondes)
  • Safety 2: plonge a 20 mètres (ou 15 pour les performances moins profondes)
  • Safety 3: regard depuis la surface, prêt a plonger si le 1 ou 2 a un souci.
  • Safety 4: fait la sécurité du cameraman et du photographe, depuis la surface.
un apnéiste remonte un autre apnéiste

entraînement au sauvetage / photo : Safety Team

FRANCE APNÉE : A force de côtoyer tous ces champions et championnes des profondeurs, est-ce que ça ne te donne pas envie de te lancer dans la compétition ? On te sait proche de la French Mafia, tu es plutôt à bonne école!

CHLOÉ : Même pas! J’aime vraiment ce rôle d’ange gardien. Je préfère être une bonne sécu, qu’une mauvaise compétitrice :) Non mais sérieusement, être secu permet d’etre la pour toutes les grosses perfs. Et quand on va chercher un athlète, qui nous sourit et s’accroche a notre regard toute la remontée depuis 30 mètres, c’est vraiment un moment émouvant et gratifiant.

FRANCE APNÉE : Si tu es d’accord, nous allons aborder un moment douloureux de la compétition. Lors du septième jour du Vertical Blue, l’apnéiste américain Nicholas Mevoli est décédé après une plongée à -72m en CNF. Est-ce que tu étais en poste sur sa plongée? Comment as-tu vécu sa plongée et les instants qui ont suivi?

J’étais 4eme sécu. Je n’étais pas inquiète pour lui par il est arrive sur la ligne très détendu et pour une fois il avait l’air en paix. Lorsqu’il s’est arrête a 68 mètres, l’ambiance s’est tendue. Mais bon, il a continue a descendre et a été au plomb. A ce moment personne ne pense au squeeze car 72 mètres n’est pas très profond pour Nick, qui plonge beaucoup plus profond que ça a la palme et en immersion libre. Mais tout le monde a en tête l’épisode VB2012, ou il s’était abime un tympan, ça, combiné au long arrêt au fond, on s’attends quand même a devoir le secourir. Au sondeur on le voit remonter de façon régulière, la plongée est trop longue a cause de son arrêt sur les derniers mètres, mais il remonte bien. Les sécus 1 et 2 le retrouvent et même si il est en difficulté, même si sa technique se dégrade, il remonte par ses propres moyens. Il fait surface a un mètre de la ligne et tous les spectateurs hurlent « la ligne, Nick!!! ». Il nage jusqu’a la ligne en gardant les voies aériennes hors de l’eau. Il est narcose et en hypoxie, mais c’est un protocole tellement machinal qu’il arrive a faire ca. Il a cette expression sur le visage qui a fait crier au scandale lors de la parution de l’article du NY Times… mais c’est l’expression « Nick remonte d’une plongée difficile ». Une expression que l’on a pu voir déjà avant, donc elle n’inquiète pas plus que ça l’équipe. De ce que je me rappelle, il fait son signe ok mais ne prononce pas la phrase. A ce moment, l’ambiance se détend presque, on ne se rend pas compte tout de suite qu’il ne récupère pas. Puis il fait une syncope. On comprend alors qu’on fait face a gros cas de squeeze.

A partir de la tout s’accélère… on le met sur la plateforme, il reçoit de l’oxygène, il crache du sang. Le coeur ralentit petit a petit. Quand il s’arrête, on commence le massage cardiaque. Apres une injection d’adrénaline on l’évacue jusqu’a l’ambulance. Les médecins ont suivi le protocole a la lettre, leur sang froid était exemplaire au milieu des cris des athlètes et spectateurs.

Quand l’ambulance part, certains sautent dans leur voiture encore en combinaison pour suivre Nick jusqu’a l’hôpital. D’autres paraissent abattus, choqué par ce qu’il vient de se passer. Je décide d’aller chercher les affaires de Nick avec son colocataire, Johnny Sunnex. On ramène son téléphone, ses papiers d’identité, aux médecins. Petit a petit, tous les compétiteurs se rejoignent devant les urgences. On nous dit d’attendre et de prier. Nick était très croyant, alors Dieu ou pas, tout le monde prie. Quand Ren (Chapman) sort des urgences, et nous rassemble pour une annonce, on comprend. Je m’accroche au bras d’un safety, Alex et mes mains tremblent. « Hey guys… Nick didn’t make it… » sa voix se brise. Certains s’assoient par terre, en état de choc. Tout le monde pleure. L’incompréhension est sur tout les visages. Il y a un moment de flottement, d’abattement. On restera un long moment assis devant cette porte. Puis petit a petit, les gens rentrent chez eux. Ce soir la, personne n’a voulu rester seul, et les groupes se sont formes, les uns chez les autres. Nous, l’équipe sécu avec les juges et quelques autres athlètes, on a décide de parler de Nick, de raconter des anecdotes marrantes sur lui. On a joue de la guitare et même compose une petite chanson pour lui. La soirée s’est fini tard dans la nuit et personne n’a vraiment dormi.

Le lendemain, un prêtre est venu pour une cérémonie sur la plage. Nick a eu un bel au revoir… 80 personnes en tout, puis la moitié se sont mis a l’eau. On lui a rendu hommage en plongeant et lançant de fleurs dans le Dean’s Blue Hole. C’était très émouvant, tout le monde se tenait par la main et la notion de « famille du Vertical Blue » était plus présente que jamais. Puis Grant, le juge, a rappelé que lors des records, on place l’athlète au centre d’un cercle et tout le monde autour l’éclabousse le plus fort possible… c’est ce qu’ils avaient fait pour Nick lors de la Caribean Cup en 2012. Il suggère alors de lui donner la bataille d’eau de sa vie. Et la, tout le monde se déchaine. On évacue la colère, la peine, on crie, on hurle, on ne peut meme plus respirer, tant tout le monde éclabousse fort. Le Blue Hole est blanc d’écume. Quand tout se calme c’est l’éclat de rire général. Bye Bye Nick, tu l’as bien méritée ta bataille d’eau !

FRANCE APNÉE : Connaissais-tu Nick Mevoli en dehors de l’eau? Souhaites-tu nous parler un peu de lui?

CHLOÉ : Oui, un peu. C’était le colocataire de Johnny, cette année, de qui je suis assez proche. Ils sont venus me chercher a l’aéroport a mon arrivée. Je me faisais inviter chez eux le soir, Nick c’était un cordon bleu. Bon, toujours des plats super bons pour la santé avec beaucoup de légumes (moi qui aime les pates et rechigne un peu sur les brocolis, on étais un peu en conflit sur le contenu des assiettes mais bon!) Je n’ai jamais mange autant de betteraves et de carottes qu’avec Nick!

Nick il avait le coeur sur la main, un ange avec un petit démon intérieur qui se mettait parfois très en colère. Un personnage de contrastes, quoi.

Très croyant, profondément gentil. Toujours le sourire. Toujours la pour écouter et rendre service. Mais par contre, sous pression, si il revenait d’une plongée dans le tag, il explosait! Son avant dernière plongée, FIM 95 mètres, ou il avait demande au safety de l’assister jusqu’a la surface, il avait fait son protocole, puis hurle sa colère! Il ne fallait pas l’approcher dans ces moments! Apres, ça passait et il redevenait le Nick souriant que l’on connait.

FRANCE APNÉE : Nick est le premier apnéiste à décéder en compétition. Sa disparition a beaucoup ému la communauté des apnéistes. Après l’émotion et l’hommage, beaucoup attendent des explications quant à son décès. Une autopsie doit être faite mais il se dit qu’il aurait fait un squeeze deux jours auparavant. Tu confirmes? De part ton expérience et à ton humble avis, penses-tu qu’il aurait du plonger ce jour là? 

CHLOÉ : Il a effectivement fait un squeeze deux jours avant, mais bon, pas un squeeze spécialement impressionnant. Pas de syncope, il a juste crache un peu de sang.

Bien sur, notre vision de la gravite d’un squeeze a beaucoup change maintenant, mais ce que je veux dire c’est que pas mal d’autres athlètes ont eu des squeeze comme celui ci, et ont replonge derrière, que ça soit a Vertical Blue ou sur d’autres compétitions !

Je pense que tout le monde était un peu « habitue » a voir des apnéistes cracher du sang, et du coup, on avait perdu de vue la potentielle gravite du problème. Nick, c’est un sacre rappel a l’ordre: cracher du sang n’est pas banal, il faut prendre cela au sérieux.

Après, Nick était capable de plonger a 100 metres, donc annoncer 72 mètres, même si c’est deux jours après un squeeze, ça n’a pas paru dangereux, ni aux médecins, ni a nous, l’équipe sécurité.

FRANCE APNÉE : Kimmo Lahtinen, le président d’AIDA internationale, a chargé Antero Joki d’enquêter et de réfléchir avec des médecins pour éviter des accidents dramatiques comme celui de Nicholas. Qu’en penses-tu?

CHLOÉ : Evidemment, c’est une nécessite. On veut tous que la disparition de Nick ne soit pas vaine, qu’il « sauve la vie » d’autres apnéistes. Bien sur que c’est affreux d’attendre un accident pour réagir sur ce problème, mais notre sport est relativement jeune, et malheureusement, nous apprenons tous au fur et a mesure. Antero mène une enquête poussée et interroge tous les gens présents: médecins, sécus, athlètes, spectateurs. J’ai hâte de voir ce qu’AIDA ressortira de tout cela et j’espère que nous allons faire un grand pas en avant dans la sécurité en apnée profonde.

FRANCE APNÉE : Le circuit international AIDA est un peu comme une petite famille. Compétiteurs, safety, juges, staff ont vécu des émotions intenses (joie, profonde tristesse…). Comment ce sont passés les derniers jours après l’arrêt de la compétition?

CHLOÉ : On s’est serré les coudes. Les plus forts ont soutenu les plus affectés. On a passé tout notre temps en groupe. On a été nager au Blue Hole. Plusieurs apnéistes ont fait des plongées a 72 mètres, en hommage a Nick. Certains n’ont pas eu le courage de se remettre a l’eau. Quitter les Bahamas a été très dur cette année. On laisse une famille, des liens vraiment forts. On laisse aussi un peu Nick sur cette ile.

 FRANCE APNÉE : Pour finir, quels sont tes projets pour 2014. feras-tu partie des apnéistes de sécurité des Championnat du Monde AIDA par équipe? 

Je ne sais pas encore. L’équipe de Vertical Blue a postule pour être réunie sur la sécu de la Caribean Cub au Honduras, en mai. On a vraiment envie de se retrouver tous la bas. On a aussi dit a William que nous voulions retravailler tous ensemble, les sécus et les médecins, pour lui, pour VB2014. William a besoin de soutien, il est le plus affecté par cet accident, comme c’est associé a sa compétition. Il a besoin de savoir que la communauté des apnéistes est derrière lui, et nous, on le soutien a 100%.

 

crédits photos: Ren Chapman, savety Team, Simon Benett, VB2013