Le web magazine 100% Apnée Tuesday - Mar 19, 2024

Jean-Baptiste Savornin raccroche – « avoir le choix, être libre et vivre sa passion » [INTERVIEW]


JB Savornin
photo : FIPSAS-CMAS

Au cours de la saison 2015 un chasseur varois, inconnu du circuit de l’apnée en compétition, débarquait sur une inter régionale à Cannes. Résultat 6’59 en apnée statique sans une vraie préparation, sans un vrai protocole d’échauffement. Pas mal pour une première compet’ ! Ce chasseur de Saint Raphael allait se faire rapidement un nom puisque quelques mois après sa première compétition il allait se retrouver en Equipe de France pour participer aux championnats du monde CMAS de Mulhouse. Ce championnat international allait être une grande source de motivation pour Jean-Baptiste Savornin qui a marqué indiscutablement cette  saison 2016 en apnée statique sur le circuit fédéral et surtout aux Mondiaux de Lignano. Pourtant à l’issue de cette incroyable saison sur laquelle nous allons revenir, Jean-Baptiste a choisi d’arrêter la compétition en apnée sportive. Nous avons souhaité en savoir un peu plus sur les motivations du Varois et sur ses projets futurs.

Jean-Baptiste Savornin par Flogny pour la FFESSM

Jean-Baptiste Savornin par Eric Flogny pour la FFESSM (juillet 2015)

> FRANCE APNEE : Le 30 mars 2015 tu débarquais sur ta première compétition à Cannes sur une interrégionale fédérale; tu étais complètement perdu… Et pourtant, pour ton premier statique en compétition tu réalises 6’59  D’emblée tu marquais les esprits ! Qu’as-tu retenu de ton entrée dans l’univers si particuliers de la compétition en apnée ?

> JEAN-BAPTISTE : L’apnée en compétition est très particulière puisque tout est régi dans l’organisation des départs « timé » et c’est ce qui en fait la difficulté car comme tout le monde le sait, des Champions à l’entraînement il y en a des dizaines mais en compétition c’est tout autre chose… Si à cette première compétition je réalise un très bon temps qui me permet de gagner l’épreuve de statique, paradoxalement le fait de se sentir capable d’aller plus loin impose tout de suite une grande pression. Je l’ai appris aux travers de mes compétitions suivantes..

> F.R. : En 2015 tout va très vite… malgré un championnat de France raté, la staff France de la FFESSM te donne ta chance pour participer au mondiaux CMAS de Mulhouse. C’était alors ta 3e compétition ! Est-ce qu’on peut dire que ce championnat international t’as motivé pour cette saison 2016 ?

> J.B. : Oui j’ai eu beaucoup de chance d’être sélectionné pour les Mondiaux en 2015 mais aussi une énorme pression s’est abattue sur moi du coup sans vraiment savoir quoi faire et m’entrainant seul je me suis fait écraser … j’ai mis un peu de temps à refaire surface mais j’ai voulu tenter une année supplémentaire, persuadé que j’avais ma place..

Jean-Baptiste Savornin par Flogny pour la FFESSM (juillet 2015)

Jean-Baptiste Savornin par Flogny pour la FFESSM (juillet 2015)

> F.R. : Tu es vite passé de la saison découverte à la saison experte. Comment as-tu fait ? Comment t’es-tu entraîné ? Est-ce que tu as eu un mentor pour t’épauler ?

> J.B. : Si je suis passé de débutant à expert comme vous dites je le dois énormément à Branko Petrovic qui m’a guidé dans mes entraînements. Il est devenu un ami et je lui dois beaucoup. Cela dit cela a été difficile de communiquer en anglais et à distance par téléphone mais la rigueur que j’ai connu dans mes années à haut niveau en natation m’a servie pour cette saison. Je me suis donc entraîné très dur de une à trois fois par jour car j’en avais besoin n’ayant pas forcément les qualités physiques de certains j’ai dû bosser dur. J’ai d’ailleurs mis de côté beaucoup de choses pour me consacrer uniquement à cette saison avec des hauts et des bas mais dans l’ensemble une belle progression et un beau finish au championnat du monde en Italie.

> F.R. :  Finalement ta carrière d’apnéiste en compétition a été très courte mais n’oublions pas que tu viens de la chasse sous-marine, une activité pratiquée en apnée. Qu’est-ce que la chasse t’a apporté pour l’apnée chlorée ?

> J.B. : Oui ma carrière a été courte mais intense mais le fait de mettre de côté tout les autres activités obligatoirement à peser lourd dans la balance pour mon choix d’arrêter. C’est évident que les 10 dernières années j’étais un pur chasseur sous-marin, du coup cela a dû entretenir quelques qualités que j’avais pour l’apnée.

> F.R. : Quel type de chasse pratiques-tu ?

> J.B. : Je pratique exclusivement la chasse à l’agachon ou dans le bleu ce qui impose de faire du statique a des profondeurs variables. Je pense que c’est un très bon entraînement, il n’y a qu’à voir Segura Vendrell et Branko Petrovic, ce sont aussi de grand chasseurs.

JB 3 2016

Le dentis de la côte varoise n’ont qu’à bien se tenir. JB est de retour !

> F.R. : Si Vincent Mathieu ou encore Thomas Bouchard ont impressionné cette année en passant les 8′; on peut aisément dire que tu as dominé cette saison 2016 sur l’apnée statique. Peux-tu nous rappeler tes records de France et tes titres ?

> J.B. : Cette saison 2016 a été couronné par la Victoire de la Coupe de France, le titre de Champion de France et une médaille d’argent au championnat du monde (ndlr : Championnat du monde CMAS). J’ai participé presque à toutes les épreuves de Coupe de France et j’ai battu 4 fois le record d’affilée : 8’01, 8’12 puis 8’15 et enfin 8’31 (que j’ai gardé que quelques minutes puisque Vincent m’a battu peu après). Je suis aussi conscient que j’arrivais proche de mes limites et pour passer la barre des 9 minutes le travail aurait été colossale mais pas impossible. D’ailleurs j’ai déjà réalisé 9 minutes 13 secondes à l’entraînement.

> F.R. : Quel est ton meilleur souvenir de tes deux saisons de compétitions ?

> J.B. : Mon meilleur souvenir sera incontestablement ma médaille d’argent (ndlr : aux Mondiaux indoor CMAS) lorsque les juges ont validé ma performance et que je me suis tournée vers Olivier Elu pour une accolade mémorable. J’avais déjà vécu ça au championnat de France avec Kevin Provenzani mais des championnats du monde restent quand même un cran au-dessus. C’est un moment d’immense joie et de soulagement, la satisfaction d’un travail acharné qui a payé… dans la vie d’un sportif c’est très fort.

Jean-Baptiste Savornin vient de battre le record de France avec 8'01

8’01, premier record de France pour JB, il y en aura trois autres après …

> F.R. : Qu’est-ce que l’apnée t’a apporté ?

> J.B. :  L’apnée m’a énormément apporté dans la connaissance de mon corps la relation que j’ai avec mon mental maintenant et cela me sert pour tout le reste. Je dois beaucoup à mon préparateur mental qui m’a accompagné pendant ces derniers mois sans lui je serais sûrement encore dans le doute et à chercher des explications pour avancer. C’est très important nous avons travaillé pour trouver des solutions pour régler les émotions, les gérer et faire face à la pression des compétitions.

> F.R. :  Pourquoi as-tu décidé d’arrêter la compétition ?

> J.B. :  J’ai décidé d’arrêter, en cette fin d’été,  parce que je me suis rendu compte que je ne serai pas capable de retravailler aussi dur. Je n’en ai plus la volonté et connaissant la charge de travail qui m’attend pour passer un niveau supérieur, je me suis dit que cela allait être très compliqué. Combiner 20h d’entraînement, le travail et le reste devient une chose presque impossible pour ma part à ce niveau. L’apnée est un sport vraiment très exigeant… et puis la chasse me manque énormément ! Trop mise de côté. J’ai fait le point afin de peser le pour et le contre, j’ai donc écouté mon cœur et suivi mes envies. Je quitte la compétition à mon meilleur niveau ce n’était pas un choix facile mais je pense que c’était le moment venu.

JB1 2016

> F.R. : Y a-t-il une chance pour que tu décides de revenir sur le circuit, notamment pour explorer d’autres disciplines ?

> J.B. : Je ne ferme pas les portes mais je ne pense pas que vous me reverrez de si tôt pour m’ aligner sur d’autres disciplines. En tant que coach avec les membres de mon club cela est possible oui mais pas en tant que compétiteur.

> F.R. :  Peux-tu nous en dire plus sur tes projets à venir ? Est-ce que tu continueras à être lié à l’apnée sportive par d’autres moyens que la compétitions ?

> J.B. : L’apnée c’est parti de la chasse sous-marine je continue donc à la pratiquer au travers de cette discipline. J’ai aussi ma section apnée qui marche très fort avec 55 membres, il y a un vrai esprit d’équipe et nous sommes devenus de vrais amis. Nous partageons plein d’autres choses et pas simplement que de l’apnée. J’ai beaucoup de plaisir à entraîner ce groupe, mon expérience leur servira. Et puis j’ai aussi quelques interventions en plus de mon travail; notamment avec les futurs Brevet d’Etat de maître nageur. J’aime aussi faire quelques photos insolites sous l’eau. Tout ceci pour le plaisir en fait. Je ne veux plus faire les choses dans la contrainte pour des résultats ou des objectifs.

> F.R. : Qu’est-ce qu’on peut souhaiter à JB le chasseur de St. Raph ? De belles liches ou de beaux dentis au bout de la flèche ?

> J.B. :  Vous pouvez me souhaiter plein de poissons même si c’est devenu de plus en plus dur d’en prélever. Le plaisir d’aller dans l’eau est déjà énorme et je suis bien conscient d’avoir la chance de pouvoir pratiquer ma passion plusieurs fois par semaine. J’ai passé deux saisons formidables avec des hauts et des bas. J’ai rencontré des personnes très intéressantes, noué des liens d’amitiés avec d’autres. L’apnée à haut niveau tisse des liens. Cette discipline vous emmène tellement loin physiquement et mentalement qu’elle laisse une empreinte profonde. Je retrouve aussi ma vie zen de famille avec mon épouse Sonia à qui je tire mon chapeau pour m’avoir supporté et soutenu car parfois j’étais exécrable ! Un sportif de haut niveau à un caractère changeant directement lié à ses résultats et à sont état physique et mental ( l’entraînement le repos l’alimentation tout est compliqué). Merci à elle.

> F.R. :  Le mot de la fin …

> J.B. :  Pour finir je peux dire que je me sens en quelque sorte soulagé et libéré. Ce matin je suis allé chasser avant d’aller travailler au lever du jour et quand le réveil a sonné à 5h30, j’ai pris conscience que j’avais de la chance et surtout que j’avais le choix et que si j’étais fatigué je pouvais rester au lit. Mais je suis parti en mer avec le sourire. C’est ça le luxe avoir le choix, être libre et vivre sa passion.

 

JB 2 2016

Un magnifique denti pour Jean-Baptiste, sans doute la prise la plus noble pour un chasseur de Méditerranée

 

Propos recueillis par Nicolas Proquin le 30 août 2016 pour France Apnée Magazine